La blockchain, diffusée et démocratisée par l’application Bitcoin, s’annonce en 2016 comme une (la ?) nouvelle révolution pour la confiance numérique. Au-delà du Buzz, quel chemin suivre pour trouver rapidement des gisements d’applications et passer du rêve à la réalité ?

Blockchain : encore un Buzz word ?

Faisons le pari que « blockchain » sera élu mot numérique de l’année 2016[1] après « Ubériser » en 2015 et « Selfie » en 2014. D’aucuns, de plus en plus nombreux chaque jour, parlent de la blockchain aujourd’hui comme on parlait d’Internet à ses débuts.

Selon Sandrine Duchêne, Secrétaire Générale d’AXA France, « La blockchain sera aux transactions ce qu’Internet a été à la circulation de l’information »[2].

Ce que promet la blockchain, car on se situe bien aujourd’hui au niveau de la promesse, ce n’est rien de moins que la mutation profonde des tiers de confiance, par la technologie numérique et la loi du plus grand nombre, ce que certains appellent le pouvoir de la multitude[3]. Non seulement la blockchain semble avoir le pouvoir de modifier radicalement des modèles économiques historiques et établis depuis des décennies, voire des siècles, comme celui des actes notariés par exemple, mais aussi celui de bousculer des modèles économiques très récents et eux-mêmes déjà en rupture : on attribue ainsi à la blockchain le pouvoir potentiel d’ubériser[4] Uber.

De son côté, la « Harvard Business Review » a cité la blockchain comme l’une des huit tendances technologiques majeures à suivre pour 2016, au même titre que l’informatique quantique ou les Bots[5].

Nicolas Cary, cofondateur de Blockchain.info[6] affirme : « Je demeure convaincu que la technologie blockchain sera aussi importante pour le monde que l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Pour la première fois dans l’histoire du monde nous pouvons réinventer la façon dont le monde réalise des transactions sans aucun intermédiaire. »

Si John Cage, de Sun Microsystems, affirmait en 1996 que « le réseau est l’ordinateur »[7], quand sera-t-il temps de dire « la blockchain est le Tiers de Confiance » ?

La blockchain, pour quoi faire ?

En tant que technologie permettant l’automatisation distribuée des transactions, il est possible que la blockchain remplace la façon de « faire des affaires », les relations fournisseurs – clients- sous-traitants, pour y mettre la confiance « au cœur », avec notamment les Smart Contracts[8]. C’est ainsi qu’on comprend en quoi les enjeux juridiques sont consubstantiels aux enjeux technologiques et scientifiques de la blockchain.

Certaines applications envisagées pour la blockchain incluent les transactions financières, les paiements transfrontaliers / les transferts d’argent (avec une expérimentation déjà en place par la Barclays), les compensations centralisées, la preuve de l’authenticité, la preuve de la découverte ou de l’invention, la gestion des données, la conformité, les échanges de gré-à-gré, les hypothèques, les prêts, le financement, le crowdfunding, l’Internet des objets, la communication machine-to-machine, la gestion des droits numériques et de l’identité personnelle, la sauvegarde, les documents publics, le vote, la santé, l’immobilier , les jeux, la logistique, la mobilité, l’énergie, etc.
La rencontre de l’IoT avec la blockchain promet en particulier une révolution : « when IoT meets blockchain » : c’est le BoT : Blockchain of Things, avec les objets qui vont communiquer entre eux de façon autonome et en confiance, et effectuer entre eux des transactions, en tant qu’acteurs économiques autonomes.

La blockchain apportera des solutions aux activités économiques qui ont besoin de coopération, de collaboration, et de certification. On pense bien évidemment à l’économie collaborative. Ce n’est pas une surprise de constater que l’une des start-up en vue sur la blockchain propose du covoiturage sans plate-forme centralisée : La Zooz[9].

Les technologies de la blockchain apportent en somme une architecture distribuée répondant aux vulnérabilités (sécurité, sûreté, disponibilité, etc.) et aux contraintes (coûts) des tiers de confiance inhérents aux architectures centralisées, tout en favorisant une utilisation éthique des données au service de nouveaux usages innovants de l’économie du 21ème  siècle.

En quelque sorte, la blockchain est un outil très prometteur. Comment l’utiliser rapidement et efficacement ?

La blockchain : comment y aller ?

Un rapport du Gouvernement Britannique (Government Office for Science) publié début 2016[10] propose, parmi ses recommandations :

  • D’expérimenter et d’investir en Recherche & Développement, tout en allant sur le terrain, pour dépasser le « Hype » ou le « Buzz », et de « mettre les mains dans le cambouis », en mettant en œuvre une transversalité des compétences (y compris en sociologie, droit, etc.).
  • De travailler le cadre de régulation en se projetant dans l’avenir.
  • De s’accorder sur des standards, l’interopérabilité, et de casser les silos.

Dit autrement, pour comprendre l’intérêt de la blockchain, et en tirer les bénéfices rapidement, il faut tout simplement « y aller », avec une dimension forte de Recherche & Développement, et une bonne dose d’expérimentations, en étant prêt à apprendre au fur et à mesure des expérimentations dans les conditions réelles (pour ne pas dire les conditions du direct). Il n’y aura très probablement pas de nouvelle « killer application » pour la blockchain, si toutefois celle du Bitcoin en est une. Ce seront plutôt une multitude d’applications et d’usages innovants, augmentés en confiance par les technologies de la blockchain, qui conduiront à leur diffusion et leur montée en maturité.

Est innovant avec la blockchain l’agencement très habile de technologies existantes (dont celle du chiffrement), qui permet d’apporter une confiance dans le fameux « registre » et les mécanismes de l’algorithme de consensus par une référence directe à la théorie des jeux. Les compétences en mathématiques sont ici précieuses, comme celles de l’ingénierie logicielle.
Les usages qui pourront s’appuyer sur la blockchain, comme par exemple les nouveaux services de la voiture connectée, porteront des enjeux de nature « système », pour lesquels la discipline de l’ingénierie des systèmes complexes est également précieuse, aux côtés de celles de la manipulation des données, des réseaux et des infrastructures informatiques.

La blockchain avance très vite. Des milliards de dollars ont déjà été investis aux États-Unis dans ce domaine, encore peu en Europe y compris en France. Pour aller vite, il convient d’appliquer des approches nouvelles en termes de
R&D, qui associent en un continuum cohérent la recherche scientifique, le développement technologique, et l’expérimentation sur le terrain, avec des boucles très courtes entre ces activités.

Ainsi, quitte à s’essayer à des recommandations d’action pour « y aller » rapidement et efficacement, proposons-en quelques-unes :

  • Partir des cas d’usage, les caractériser avec les métiers, et travailler sur les verrous technologiques et scientifiques associés.
  • Avoir une approche itérative et rapide faite de preuves de concept en laboratoire et d’expérimentations et de pilotes sur le terrain.
  • Conjuguer les approches techniques avec les sciences sociales : juridiques, modèles économiques, etc.
  • Disposer de la capacité à tester et évaluer, pour ses propres cas d’usage, et de manière impartiale, différentes solutions du marché.
  • Accueillir les start-up pertinentes dans ces approches.
  • S’appuyer sur des partenariats publics-privés pour travailler de concert sur les usages et les régulations.

C’est dans cette optique que l’IRT SystemX, Institut de Recherche Technologique cofinancé par le Programme d’investissements d’avenir (PIA), spécialisé sur l’ingénierie numérique des systèmes complexes, et situé au cœur du Campus Paris-Saclay, aux côtés de l’Université Paris-Saclay, vient de lancer un premier projet de R&D intégrative et partenariale qui réunit plusieurs entreprises porteuses de cas d’usage et de compétences, désireuses de mutualiser leurs efforts et de partager leurs avancées sur cette innovation de rupture que promet d’être la blockchain, avec des chercheurs académiques de l’Université Paris-Saclay et les ingénieurs de recherche de l’Institut de Recherche, qui apportent leurs travaux scientifiques et technologiques sur les disciplines sollicitées.
L’objectif de ce projet est également de permettre le partage de bonnes pratiques et l’enrichissement croisé des avancées technologiques entre les différentes applications de la blockchain comme la mobilité, la logistique, l’énergie, les télécommunications, la sécurité, etc.

Le développement par l’IRT SystemX d’une plate-forme expérimentale permettant d’évaluer le couplage des technologies de la blockchain à travers des cas d’usage innovants est aussi de nature à accélérer l’innovation dans le domaine.
Avec ce projet, il s’agit enfin, par des actions de R&D bien cibl.es, de mener des études sur le temps court à caractère directement opérationnel, afin de nourrir la réflexion stratégique et fournir des outils d’aide à la décision aux acteurs politiques, économiques et régaliens.
La France ne peut et ne veut pas rater la révolution blockchain, elle peut même faire partie de ses meneurs, au vu des compétences industrielles et scientifiques du pays. L’IRT SystemX entend y contribuer par ses travaux de R&D et
ses plates-formes technologiques.
La blockchain n’est pas un sujet numérique de plus. La blockchain, ou plutôt les technologies de la blockchain, ont le potentiel de transformer radicalement nos sociétés et nos économies, à l’image de TCP/IP à partir du début des années 1990. Au bout de 25 ans, on mesure ce potentiel. Rendez-vous en 2040 dans un monde où la blockchain sera partout, ou bien plus tôt ?

1/ Election du mot numérique de l’année 2016 : http://davidfayon.fr/2016/10/election-mot-numerique-2016/
2/ Colloque blockchain à l’Assemblée Nationale du 24 mars 2016
3/ L’ère numérique, un nouvel âge de l’humanité, Le Passeur, 2014, par Gilles Babinet
4/ Le mot « Ubériser » est entré dans le dictionnaire Français en mai 2016, avec la version 2017 du Petit Robert, qui inclut 150 nouveaux mots.
5/ 8 Tech Trends to Watch in 2016 – https://hbr.org/2015/12/8-tech-trends-to-watch-in-2016
6/ https://blockchain.info/
7/ https://www.wired.com/1996/12/esgage/
8/ Programmes autonomes qui, une fois démarrés, exécutent automatiquement des conditions définies au préalable : Smart Contracts : définition et applications – Blockchain France https://blockchainfrance.net/2016/01/28/applications-smart-contracts/
9/ http://lazooz.net/
10/ Distributed Ledger Technology: beyond blockchain : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/492972/gs-16-1-distributed-ledger-technology.pdf

 

SOURCE

Article publié au sein de la Revue TELECOM 183 « Drones jusqu’où nous emmènent-ils ? & Blockchain la nouvelle révolution numérique ? »

À propos de l’auteur


François Stephan est Directeur Général Adjoint en charge du Développement et de l’International de l’Institut de Recherche Technologique SystemX, dédié à l’ingénierie numérique des systèmes.
Ingénieur diplômé de l’École polytechnique et de Télécom ParisTech, il a plus de 20 ans d’expérience professionnelle dans les technologies de l’information. Il est co-auteur avec Jean-Pierre Briffaut de l’ouvrage « Cloud Computing : Évolution technologique, révolution des usages » publié en mai 2013 par les éditions Hermes Science – Lavoisier.

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